À la rencontre de Samer Melki, consul général de France à Londres : délivrance de visas, settled status, Brexit… ce qu’il faut retenir
Samer Melki est le Consul général de France à Londres depuis le 1er septembre 2022. Alors que la pandémie de la Covid et les formalités du Brexit ont transformé la vie des citoyens français au Royaume-Uni, Français à Londres est parti à la rencontre du Consul général. Nous l’avons interrogé sur les nouveaux défis à venir pour les services consulaires français et leur fonctionnement outre-manche.
Quels ont été vos premiers défis et vos premières missions à ce poste depuis votre arrivée ?
Depuis mon arrivée, je dirais qu’il y a eu quatre grandes priorités. La première a été de répondre à la demande des rendez-vous pour les passeports et les cartes nationales d’identité. Les délais d’attente étaient longs et il nous fallait absorber tout le backlog, c’est-à-dire le reliquat, issu de la crise sanitaire en facilitant les prises de rendez-vous au Consulat. Toute une série de mesures a été mise en place et la situation – qui n’est pas encore parfaite, j’en conviens – est en voie d’amélioration. On peut le constater simplement par la disponibilité des rendez-vous en ligne, bien plus importante qu’il y a quelques mois. Et cette dynamique va se poursuivre. Ces progrès ont été possibles parce que nous avons obtenu des renforts (4 personnes à temps plein de la fin de l’été à la fin de l’année), développé une nouvelle fonctionnalité dans l’application de rendez-vous en ligne pour que nos compatriotes puissent être informés gratuitement et en temps réel des annulations de RDV et ouvertures de créneaux, et pris l’initiative de proposer des RDV trois fois par jour (9h-9h30 pour des RDV le jour-même, 11h-12h pour des RDV sur les 59 jours à venir, 18h pour les RDV du 60e jour).
Ma deuxième priorité, c’est d’aller à la rencontre de la communauté française au Royaume-Uni dans toute sa diversité. Il faut prendre le temps de la connaître, dans Londres comme hors de Londres. Cela passe aussi par des rencontres avec nos élus, des déplacements dans les écoles françaises de Londres homologuées par l’AEFE, de nombreux contacts avec les responsables d’associations françaises. Il y a une myriade d’associations et certaines sont très importantes comme le Dispensaire français, soutenu par le Consulat général. Je veux aussi mentionner la Fédération des associations françaises de Grande-Bretagne, qui fédère un réseau associatif d’une densité exceptionnelle.
Troisième axe : j’ai pris contact avec mes homologues européens et avec la délégation de l’Union Européenne, avec lesquels je suis amené à travailler très étroitement sur les questions de protection des droits des citoyens européens à la suite du Brexit, qui sont des priorités communes. Cela signifie poursuivre ensemble le travail engagé pour accompagner nos compatriotes devenus résidents britanniques dans le cadre du pre-settled ou settled status – j’y reviendrai, c’est un point important pour les prochaines années.
Enfin, l’une de mes priorités a été de rencontrer les équipes et l’ensemble des agents du consulat. C’est une équipe remarquable de 85 personnes, composée de professionnels expérimentés et investis d’un sens du service public qui fait honneur à notre pays.
Votre prédécesseur s’était beaucoup occupé des questions liées au Brexit et à la Covid. Quel sera votre rôle pour les prochaines années ? Quelles sont les missions sur lesquelles vous allez vous concentrer pour améliorer le service du Consulat ?
En ce qui concerne la Covid, j’espère que cela n’aura plus d’incidence majeure comme cela a pu en avoir sur nos compatriotes et sur l’activité du Consulat, qui n’a jamais fermé tout au long de la pandémie, grâce à l’engagement de ses agents. Nous restons bien sûr vigilants et prêts à toute éventualité. Concernant le Brexit, il faut veiller au maintien des droits acquis par nos compatriotes, qui est garanti par l’accord de retrait signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et qui s’est traduit par la mise en place du EU settlement scheme. La priorité des années à venir, c’est le passage sans encombre au settled status de nos concitoyens détenteurs d’un pre-settled statusdepuis 5 ans. Il faut que leurs droits soient préservés, et nous savons que les demandes en ce sens vont très fortement augmenter en 2023 et 2024, soit cinq ans après la mise en place du pre-settled status. Nous nous y préparons, pour accompagner au mieux nos compatriotes.
Parallèlement, il s’agit d’avoir un dialogue étroit avec les autorités britanniques et de les inviter à faire preuve de la souplesse requise pour que toutes les situations, quelle que soit leur complexité, puissent être prises en compte. Ce dialogue est déjà engagé avec les autorités compétentes.
Nous devons, parallèlement, continuer à nous concentrer sur la délivrance des services que ce Consulat assure auprès de ses compatriotes. Cela passe, je l’ai dit, par la poursuite des efforts engagés pour alléger la pression sur les demandes de rendez-vous de passeports et de cartes d’identité. Cela se traduit aussi par des efforts pour aménager le Consulat en matière d’accueil du public et de sécurité. Nous avons un très beau bâtiment, mais il n’est pas entièrement adapté à la réception du public. Ce sera l’un de mes défis.
Enfin, la période du Covid a limité les déplacements de mon prédécesseur. La situation sanitaire me permet de renforcer le contact avec la communauté française, pour mieux répondre à ses besoins et à ses questions. Il faut pour cela sortir de Londres – je me suis rendu ou me rendrai d’ici la fin de l’année à Liverpool et Birmingham, et je multiplierai les déplacements l’année prochaine. Dans un autre registre, j’attache énormément d’importance aux cérémonies de remise des certificats de nationalité, suspendues à cause de la pandémie et que j’ai décidé de reprendre de manière systématique dès le début de l’année prochaine. Devenir français n’est pas une simple démarche administrative, c’est une adhésion à des principes et à un projet, à un ensemble de droits et de devoir. Je veux prendre le temps de le dire à nos nouveaux et futurs compatriotes, avec toute la solennité requise.
Quel est le rôle du Consulat général au Royaume-Uni et comment s'organise-t-il ?
Si je devais résumer mon rôle ici en une formule, je dirais qu’il consiste à la fois dans la protection des droits de nos concitoyens et dans la garantie de leur accès aux services publiques.
Si nous considérons la circonscription consulaire de Londres (Angleterre, Pays de Galles et Irlande du nord), nous avons 136 000 inscrits auxquels s’ajoutent les 5 000 à 6 000 inscrits au Consulat général en Écosse. Le lieu d’instruction sur tous les sujets consulaires, pour l’ensemble du Royaume-Uni, est le Consulat général de France àLondres.
Le Consulat est divisé en quatre grands services. Le premier service est celui de l’administration des Français. C’est le plus grand service du Consulat puisqu’il réunit plus de 35 personnes. Il traite de la demande des passeports et des cartes d’identité. Ce Consulat général est le premier poste mondial en délivrance de passeports et le deuxième en délivrance de cartes d’identité. Cela représente plus de 11% de l’activité mondiale totale de délivrance de titres. Aujourd’hui nous sommes à plus de 45 000 demandes detitres traitées depuis le début de l’année – 2022 est déjà une année record. Le service de l’administration des Français s’occupe aussi de la gestion du registre des Français et des élections avec près de 110 000 inscrits : dans la période électorale de 2022, 800 volontaires ont été mobilisés et 56 bureaux de votes ouverts pour les élections présidentielle et législatives. Pour tout ce qui relève de l’administration des Français, nous appuyons également sur le réseau de nos 17 consuls honoraires qui sont répartis sur l’ensemble du territoire de la circonscription consulaire (Royaume-Uni hors Écosse).
Le deuxième service est celui de l’état civil et nationalité. Il permet aux citoyens français d’enregistrer toutes les évolutions de leur état civil : les naissances, les mariages, les PACS, les divorces, les décès, les changements de noms… C’est aussi le service qui traite des demandes de nationalité. Ces demandes sont en très forte augmentation depuis le Brexit puisque beaucoup des Britanniques, qui étaient franco-britanniques de cœur, notamment celles et ceux mariés à un Français ou une Française, ont fait le choix de demander la naturalisation.
Le troisième est le service des affaires sociales. Il s’occupe des aides accordées à nos compatriotes – qui ont été renforcées pendant la période du Covid –, du soutien aux associations et organismes d’entraide agissant aux bénéfices des Français, et de la gestion des demandes de bourses scolaires par les familles qui souhaitent inscrire leurs enfants dans des établissements homologués par l’AEFE. Tous les enfants qui sont scolarisés dans ces établissements ont le droit de demander une bourse, soumise à conditions de ressources. L’enjeu est d’aider les Français qui scolarisent leurs enfants dans le réseau des établissements français. Le service des affaires socialesaccompagne enfin les familles endeuillées par une perte ou dont certains membres sont victimes de violences ou se trouvent dans des situations de grande fragilité. Et il maintient la relation avec les Français qui le souhaitent lorsqu’ils sont placés en détention – c’est ce que l’on appelle la protection consulaire.
Enfin, le quatrième service est celui des visas – le deuxième plus important en nombre de collègues, avec 27 agents. Il traite les demandes de visas de personnes qui souhaitent se rendre en France. Pour 2022, nous serons à environ 100 000 demandes de visas à la fin de l’année. Londres est cette année le premier poste au monde en délivrance de visas – c’est un élément qui est sans doute peu connu de nos compatriotes. Nous sommes confrontés à deux contraintes : la complexité de « la matière des visas », puisque Londres est une ville monde avec des personnes de plus de 130 nationalités qui demandent à se rendre en France ; et bien sûr le Brexit, qui provoque une forte augmentation des demandes de visa de long séjour (près de 15% des demandes aujourd’hui, contre moins de 2% avant le Brexit). Au-delà de séjours de courte durée (90 jours sur une période de 180 jours), les Britanniques doivent désormais demander un visa – comme les Français qui souhaitent se rendre au Royaume-Uni pour un long séjour.
Mon rôle est à la fois la protection des droits des citoyens et la garantie de l’accès aux services publiques.
Quels seraient les conseils que vous donneriez aux Français qui souhaiteraient s’installer au Royaume-Uni ?
Nous avons ici un socle de personnes qui sont là depuis des décennies et qui font leur vie entre la France et le Royaume-Uni. Il y a un lien très fort entre les sociétés française et britannique. Je souhaite dire aux Français qui veulent s’installer au Royaume-Uni que cela reste possible, même si la situation a changé depuis le Brexit.
Vis-à-vis du Consulat, lorsque l’on arrive au Royaume-Uni, la première démarche à effectuer est de s’inscrire au registre. Ce n’est pas obligatoire, mais c’est extrêmement important. Cela facilite énormément de démarches et conditionne l’accès à certains services comme les bourses scolaires. C’est aussi une question de sécurité car, en cas d’urgence ou de crise, nous pouvons, grâce à l’inscription au registre, joindre nos compatriotes.
Vis-à-vis des autorités britanniques, il faut être très attentif au cadre post-Brexit. Pour les personnes qui étaient présentes avant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, il peut y avoir des démarches à faire pour acquérir et conserver un statut de résident, je l’ai dit tout à l’heure. Pour les personnes qui n’étaient pas présentes avant l’accord de retrait, on peut prévoir un séjour touristique sans formalités particulières mais pour tout long séjour, il faut désormais demander un visa. Au-delà d’un semestre, on ne peut plus venir faire ses études ici sans visa étudiant ; on ne peut pas davantage improviser une installation au Royaume-Uni, puis trouver un travail et y rester durablement – il faut pour cela obtenir au préalable un visa de travail. Mais je crois profondément à la relation entre nos deux sociétés : elle est ancienne, elle est profonde et elle a de l’avenir. Elle n’est pas terminée, elle va évoluer et prendre d’autres formes.