Timothée de Fombelle et Albin de la Simone en concert littéraire inédit à Londres
L'écrivain Timothée de Fombelle et le chanteur Albin de la Simone seront à Londres le jeudi 19 mai pour un concert littéraire inédit, co-produit par la Librairie La Page et l'Eglise protestante française de Londres. Discussion à bâtons rompus avec Isabelle Lemarchand, de la librairie La Page.
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Isabelle Lemarchand : Bonjour Albin, bonjour Timothée. Nous sommes heureux de vous accueillir pour ce concert littéraire. A l'origine de ce concert, il y a votre rencontre. Pouvez-vous nous raconter comment elle s'est passée ?
Albin de La Simone : On s’est rencontrés il y a quelques années sur le projet littéraire et musical de Georgia : on a travaillé ensemble, Timothée sur l’écriture et moi comme directeur artistique et chanteur. C’était une vraie rencontre et un plaisir d'échanger dans un cadre professionnel où nous avons vu beaucoup de connexions entre nos horizons. De cette collaboration est née une amitié.
Timothée de Fombelle : On s’est vraiment découvert une complicité et une complémentarité : rien de mieux qu’une admiration mutuelle liée à des compétences différentes. On est dans deux mondes très différents et pourtant les zones de contact entre ces deux mondes sont très intenses et très belles entre nous.
IL : Timothée, en 2017, les éditions de l’Iconoclaste publient Neverland, un texte sur l’enfance, ou plutôt sur son empreinte dans notre vie. Comment êtes-vous passé de l’écriture à la voix ?
TdF : Quand j’ai écrit Neverland, ce court texte sur la quête de l’enfance, en 2017, j’ai tout de suite eu l’idée de partager cela avec un autre univers ; je suis beaucoup dans l’oral, je lis tous mes textes à voix haute, je les modèle, je les écoute. En faisant cet exercice, la musique et l’univers d’Albin se sont presque imposés à moi. On n’est pas très loin d’être contemporains, et dans ses chansons il parle de son débardeur éponge, et moi j’apparais à la sortie d’une sieste en culotte en éponge – rien que cette matière-là me faisait penser qu’on avait la même présence de l’enfance dans ce qu’on faisait.
J’ai osé toquer à la porte d’Albin, et avec la simplicité qui le caractérise, il a accepté tout de suite. Le concert littéraire Neverland, c’est quelque chose qui était fait pour être unique, que l’on a fait très rarement, et toujours dans des endroits étonnants.
AdlS : La première fois qu’on a monté ce projet c’était à la sortie du livre : et il faut être honnête, dès qu’on nous propose un rendez-vous comme ça, on est heureux car ça veut dire qu’on va se voir et qu’on va faire quelque chose ensemble. On est allés à Moscou, ainsi qu’au fin fond de la Sibérie pour ce spectacle et maintenant Londres – on est ravis. Avec ce concert littéraire, cette lecture musicale, on a créé une troisième œuvre à partir de nos deux œuvres respectives.
IL : Dans Neverland, c’est vraiment ce voyage unique de la sortie de l’enfance que vous évoquez : en quoi est-ce une source d’inspiration pour vous ?
TdF : Notre relation à l’enfance est différente, elle est plus idyllique chez moi dans ma manière de la voir (car tout ça n’a probablement rien à voir avec la réalité !) et là où Albin dans ses chansons attaque les blessures de l’enfance, moi j’ai tendance à en faire un réservoir dans lequel je me plonge et dont je sors l’eau de mes histoires et de mes livres.
J’ai eu moi aussi une sorte d’impatience à sortir de l’enfance, j’ai essayé de ne pas l’idéaliser même s’il y a une part de re-création de l’enfance par la mémoire, qui en fait une sorte de jardin perdu, assez merveilleux, que j’ai décrit dans le livre.
Mes histoires réatterrissent dans l’enfance grâce aux lecteurs qui les lisent : j’ai l’impression que de livres en livres, l’enfance est le cœur atomique d’où jaillit la mémoire des sens, la fraicheur du regard sur le monde : écrire c’est décrire le monde pour la première fois, et l’enfance c’est voir le monde pour la première fois. Le fait d’écrire pour les enfants a maintenu ces canaux ouverts pour permettre la réception de ces souvenirs. Quand ma mère a lu les premières pages de Neverland, elle m’a dit : « c’est simple, tu en as gardé les clefs. »
AdlS : Pour moi, l’adolescence a été un bordel pas possible, assez violente, une période que jamais de la vie je ne voudrais revivre tant elle était chaotique. L’avant, le pendant et l’après sont 3 périodes très différentes, j’ai écrit des chansons sur l’adolescence, puis sur le couple. Il y a pour moi une sorte de tunnel bizarre entre l’enfance et l’âge adulte, qui dure assez longtemps. Et c’est très inspirant pour moi. Donc quand Timothée a commencé à me parler de son livre, c’était évident qu’il y avait dans mon répertoire des chansons qui allaient répondre à son texte : l’ado et cette espèce de chape de plomb qui lui tombe sur les épaules.
"L’ado agacé par le chant des roseaux et de l’océan. Reste en dedans, écrit des poèmes. Un roman, sans soleil ni vent"
IL : Est-ce que par l’écriture ou par la chanson vous avez trouvé le seul moyen de vous exprimer ?
AdlS : J’ai un besoin puissant de m’exprimer. Dans la musique, dans le dessin, [Albin a étudié aux Beaux-Arts] et dans la chanson : je n’ai écrit ma 1e chanson qu’à l’âge de 30 ans, c’est tard ! Avant je faisais du jazz contemporain. Moderne. Mon père était musicien de jazz classique, et pendant 10 ans j’ai voulu faire du jazz contemporain pour l’emmerder et pour le satisfaire, pour être sur son terrain, pour lui plaire et le dépasser. C’était dur, complexe, chiant, je souffrais beaucoup, jusqu’à ce que je rencontre Mathieu Boogaerts, qui avait mon âge et qui avait déjà sorti un ou deux disques, et avec lui j’ai réalisé que mon univers était dans la chanson.
TdF : J’écris depuis toujours : des romans, mais d’abord du théâtre, beaucoup. Mes premiers textes sont en théâtre. Mais j’ai aussi un incroyable besoin de concret : j’ai un atelier dans lequel je travaille, j’y ai construit des objets en bois – chez moi je travaille beaucoup avec les mains : la construction, l’aménagement, les détails de fabrication, tout ce qui pourrait manquer dans l’abstraction de l’écriture.
Cela vient sûrement de mon père qui était architecte, cette façon de visualiser les choses dans toutes leurs dimensions, de toucher, de créer avec les mains : les livres, j’en travaille les squelettes pendant très longtemps : par exemple dans Alma, j’avais, dans mon atelier, 50 plans de bateaux accrochés au mur ; je suis vraiment devenu charpentier.
IL : Vous sentez-vous une responsabilité, une mission pour votre public ?
TdF : Pas mal d’adultes qui lisent Neverland réactivent cette pompe, cet accès à leur enfance, je n’y suis pour rien, mais ils découvrent que les clefs sont quelque part et qu’ils peuvent y retourner. Je ne suis pas 3 auteurs différents selon que j’écris pour les enfants, les ados, les adultes: je donne tout à chaque fois, je sais la capacite des jeunes lecteurs à comprendre la complexité, je sais qu’il leur faut de la vraie littérature. Neverland est adressé aux adultes car c’était comme mon angle mort dans la littérature pour les enfants. Je ne pouvais pas continuer à écrire pour les enfants sans passer par ce chemin d’écriture sur l’enfance.
Le travail de création est surprenant : Tobie [Tobie Lolness, Gallimard Jeunesse, 2008] est un accident : je me suis dit que j’allais écrire des histoires, c’est tout. Et tout le reste est venu, par un travail ininterrompu : j’écris tout le temps, tous les jours.
C’est un système de survie pour moi : il faut que ce soit vraiment très bien pour que ça me permettre de faire d’autres projets : je travaille énormément.
Au début j’ai été prêt à tout mettre de côté pour écrire. Quand j’ai décidé d’écrire Tobie, je savais que j’étais prêt à ne rien faire d’autre jusqu’à ce que j’aie fini, quitte à vivre dans l’austérité.
AdlS : Je ne me sens pas missionné. Je pense (rires– enfin oui, c’est vrai !) que je suis un artiste ; ça peut passer par la musique ou le dessin, [Albin de la Simone dessine énormement] la question est celle de l’expression, quel que soit le medium. Je ne me sens pas missionné pour faire quelque chose pour les gens, je suis de ceux qui s’expriment, dans une quête plutôt individualiste. Plus je suis dans cette quête, plus ça peut avoir d’impact sur ma vie, et je sais que l’humain que je suis a besoin de gens qui s’expriment, je suis celui-là pour d’autres. J’essaie de le faire de manière intelligente et belle.
IL : En tant que libraire, je suis très curieuse de connaitre votre rapport à la lecture …
AdlS : J’ai un problème avec les livres : je n’ai plus le temps de lire, j’ai beaucoup lu dans le passé. Et puis pour écrire, je ne dois pas lire, vraiment pas du tout ! Il n’y a pas longtemps j’ai lu un bouquin d’Echenoz, j’ai adoré, c’était génial, mais je me suis mis à écrire du Echenoz ! Je dois être seul pour laisser entrer l’inspiration. J’ai plein de livres qui s’empilent, j’adore, j’en achète, mais je ne les lis pas tous.
J’ai lu beaucoup de littérature japonaise à un moment, je lis de la BD, je viens de lire une BD géniale de Matthieu Morin Des pépites dans le goudron, un road trip en sur la piste de grandes œuvres d’art brut en Amérique.
TdF : Je lis tout, tout le temps, depuis toujours. Dans des genres très différents. J’ai des admirations pour des écritures, Dumas, Flaubert, la littérature du 19e siècle, c’est ce qui m’a le plus marqué. Et puis le souffle de Dumas, Le Comte de Montecristo, cette littérature si généreuse, Les Trois Mousquetaires, et puis les grands chocs de théâtre, notamment Tchekhov, qui est monumental. En écrivant Vango qui se passe en Russie, pays que je n’avais jamais visité, je savais que je pouvais avoir confiance grâce à la littérature de Tchekhov qui m’avait fait voyager.
Et la poésie, bien sûr, comme une sorte de rampe qui m’accompagne à tout moment : dans Le Livre de Perle, il y a un personnage qui s’appelle Alexandre, qui est le nom de code de René Char. Rimbaud, Rainer Maria Rilke… Je lis tout ce qui me tombe entre les mains.
Il y a quelques semaines, j’étais chez des amis dans une ancienne chambre d’enfant qu’on m’avait laissée, j’ai relu les 3 tomes de La Petite Maison dans la Prairie dans la nuit ! La conquête de l’Amérique sauvage de la fin du 19ème, les lapins qui viennent se frotter aux mollets des fermiers dans les herbes hautes, c’est extraordinaire.
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Propos recueillis par Isabelle Lemarchand
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