Exposition Yinka Shonibare : la version psychédélique des figures controversées de l’Histoire
"Suspended States" l'Histoire en technicolor à la Serpentine Gallery
Pourquoi glorifier, par la peinture, la sculpture ou le cinéma, les personnages qui ont causé tant de douleurs, de traumatismes et d’injustices à ceux qu’ils gouvernaient ? Pourquoi la Grande-Bretagne exhibe-t-elle si fièrement les icônes de son passé impérial (tristement brutal) partout sur son territoire en érigeant des statues en bronze -symboles d’exploitation- à tous les coins de rue ?
Certes, on ne peut pas effacer l’histoire ; mais nous avons un devoir de mémoire. C’est pourquoi l’artiste britannico-nigérien contemporain Yinka Shonibare MBE (Member of the British Empire) a choisi l’humour pour dénoncer, en couleurs, l’impact de l’ambition colonialiste britannique. À la Serpentine Gallery, il expose jusqu’au 1ᵉʳseptembre 2024 de superbes sculptures de la Reine Victoria, Winston Churchill, Clive des Indes, Kitchener et autres puissants colonisateurs… destitués cette fois-ci de leurs pouvoirs de marbre et de leurs piédestaux respectifs. De simples socles :
« De retour sur terre » au centre de la galerie, ils n’ont plus la stature monumentale que vous leur connaissez « en place publique ». Leur taille est réduite – elle est « humaine » et ils sont drapés de tissus à motifs psychédéliques comme des vainqueurs de « Reines du Shopping » ! La refonte est comique et magnifique à la fois. Elle met en évidence avec poésie le crâne chauve de Churchill, elle couvre la Reine Victoria de fleurs hippies, habille de rose Barbie ravissant un général victorien… Même le cheval semble adopter la "Peace and Love attitude" en trottinant vers le combat !
Yinka explique « je ne souhaite pas faire tomber ou détruire des statues – même si elles célèbrent des tyrans - car on ne peut pas effacer le passé et il ne faut pas l’oublier. Tout comme vous, je n’irais pas dans une bibliothèque pour brûler les livres dont l’idéologie me choque. Moi, je veux préserver l’Histoire pour que chacun se souvienne et comprenne ce que ces leaders ont vraiment été. Avec l’art et la couleur, je cherche à les rendre plus beaux, moins autoritaires, plus humains ».
Yinka Shonibare (Prix Turner 2024 pour sa célèbre sculpture "Nelson's Ship in a Bottle" exposée à Trafalgar Square) est très respectueux des institutions britanniques ; mais il est très critique des inégalités et des injustices sociales qui détruisent selon lui la beauté de la culture anglaise.
Sa parole est rare mais à la fois douce et puissante. Dans l’intimité de sa « War Library » Il nous a présenté ce jeudi 11 avril, les 5000 livres qui la composent.
Des milliers d’ouvrages tous reliés en tissu wax hollandais et traitant des conflits et traités de paix de l’Histoire en Afrique, en Europe, au Moyen Orient, et en Asie. Certains n’ont pas de titre. Ils symbolisent les guerres mortelles qui n’ont pas encore eu lieu mais qui lui paraissent inévitables. Conflits anciens et modernes, célèbres ou tombés dans l’oubli sont installés sans chronologie ni considérations géographiques sur les étagères multicolores. Pourquoi la guerre est-elle si récurrente se demande-t-il avec tristesse.
Yinka poursuit sa réflexion dans la galerie centrale qui présente des maquettes de bâtiments de refuge qui selon lui n’ont pas tenu leur rôle ni rempli leurs promesses : Notre Dame de Paris, le Temple de Tokeiji au Japon, les bureaux d’Amnesty International … des modèles architecturaux censés protéger femmes et hommes de la violence du monde. Mais qu’ont-ils vraiment réalisé ?
La joyeuse lumière qui jaillit des fenêtres ou des vitraux de ces sombres structures miniatures est faussement rassurante. Elle révèle les motifs africains chers à l’artiste sur les murs intérieurs, rappelant le minime réconfort généralement accordé aux réfugiés et aux demandeurs d’asile du Royaume Uni et du Monde.
Ainsi l’exposition « Suspended States » (« Les États Suspendus ») imagine la suspension des frontières, qu'elles soient géographiques, politiques, psychologiques ou matérielles. Yanki, comme le nomment affectueusement ses admirateurs, souhaite montrer le caractère hybride de la culture et des relations qui unissent les hommes. Ce sont ces questions profondes d’authenticité et d’identité qui animent le parcours de cette exposition pourtant joyeuse et optimiste.