L’art de la transformation : Lonnie Holley au Camden Art centre

Lonnie Bradley Holley revisite Lavoisier : rien ne se perd tout se transforme. Chaque objet jeté au rebut est important : un morceau de ferraille, un cadenas rouillé, un vieux tuyau d'arrosage peut prendre vie dans une nouvelle forme. Les œuvres présentées au Camden Art Centre témoignent de sa fascination pour la narration des matériaux récupérés. Holley s'inscrit dans la grande tradition de l'art d'assemblage américain de Robert Rauschenberg et Jasper Johns qui ont puisé dans les rebuts de la société de consommation américaine le matériau de leur travail et leur source d’inspiration. Depuis les années 1970, Holley est également à l'avant-garde d'un mouvement d'artistes afro-américains qui explorent l'héritage de l'esclavage et les injustices sociales et raciales de la société Américaine.

 L'exposition All Rendered Truth (Toute la vérité restituée) présente des œuvres réalisées par l’artiste lors d'une résidence de création dans le Suffolk au début de 2024, ainsi que des sculptures inédites réalisées en Italie, en 2023. La galerie est remplie d'assemblages réalisés à partir des matériaux récupérés au Royaume-Uni, notamment un tuyau de cuivre aplati provenant d'un carrefour routier londonien, un buisson de mûres du Suffolk ou des bouteilles en verre d'apothicaire de l'époque victorienne. Mais si les matériaux sont britanniques, le langage artistique de Holley repose encore sur l'iconographie et les déchets culturels de l'Americana. Les sculptures également faites de fils de fer, de métal, et d’objets improbables récupérés sont parfois de petites tailles parfois gigantesques.

La première salle de l’exposition regorge de petits assemblages complexes posés sur des socles. Ces compositions visuelles astucieuses qui dégagent une beauté inattendue sont réalisées à partir d’objets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres : métal rouillé, carreaux de sol, grillage, circuits imprimés, bouteilles, rubans, plantes en plastique, rondelles de bois... Certains de ces assemblages sont des portraits en fil de fer esquissant des contours de visages. En utilisant ces matériaux électriques - tels que les fils, les circuits imprimés et les bobines de chauffage - Lonnie Holley attire l'attention sur le gaspillage : ces technologies miraculeuses un jour et ne sont plus que des rebuts le lendemain.

Si le sens ne saute pas toujours aux yeux au premier abord, il est là pourtant partout dans l’œuvre de Holley. Il faut parfois aller le chercher dans le passé de l’artiste. Né en 1950 à Birmingham, en Alabama, Lonnie Bradley Holley connaît une enfance difficile. Dès l'âge de 5 ans il doit exercer plusieurs petits boulots, ramassant les déchets dans un cinéma en plein air ou lavant la vaisselle. Il dort dans un bar à whisky sur le site d'une fête foraine quand il n'est pas dans un foyer d'accueil. C’est sa grand-mère qui l’initie très tôt à la valeur du recyclage et qui l'emmène récupérer tout ce qu'elle peut à la casse. Les premières œuvres d'art de Holley sont des pierres tombales qu'il a sculptées pour les enfants de sa sœur, qui ont péri dans un incendie. C'est dans ce contexte lourd qu'il a commencé à faire des sculptures à partir d'objets trouvés, qu'il a éparpillés dans un paysage près de l'aéroport d'Atlanta. Mais il ne considérait pas ces pièces comme des œuvres d'art jusqu'à ce qu'un pompier lui pose la question : « Qui est l'artiste ? »

L’Histoire américaine occupe une place centrale dans sa démarche artistique. Son œuvre est imprégnée par l’immersion de Holley dans le mouvement des droits civiques, l'héritage de l'esclavage, ainsi que l'oppression des personnes noires. Une installation de vieux gants d'opéra - tous blancs à l'exception d'un seul noir fait référence au passé de l'ancienne élite raciste du Sud de l’Amérique. Une installation appelée Foxhole faite de masques à gaz sur une échelle entourée de fils barbelés évoque le passé du grand-père de Holley a combattu en Europe durant la Première Guerre mondiale,. Le symbolisme est omniprésent : masques à gaz et barbelés pour la guerre, échelles pour la fuite, serrures et chaînes pour le confinement. Dans une œuvre forte un ballon de basket est étouffé et étranglé par du grillage métallique et du fil barbelé, métaphore visuelle de l'expérience des personnes Noires américaines avec des matériaux pauvres.

On découvre un énorme tuyau d'incendie industriel qui a visiblement vécu et qui est enroulé tel un python autour d'une pile de vieilles chaises en bois. Cette œuvre, Without Skin (2024), l’une des plus grandes de l'exposition, rend hommage aux victimes des incendies d'églises racistes et à celles qui se sont battues pour les droits civiques. Ce tuyau gigantesque est à la fois un serpent asphyxiant et un fil qui sauve la vie. La force du travail de Holley tient au fait qu’il garde les matériaux trouvés extrêmement bruts, poussant ainsi le public à s’interroger sur leurs utilités précédentes. Combien d'incendies ce tuyau d'arrosage a-t-il étouffé ? Quels futurs tueurs se sont entraînés avec ces cibles en carton? Quels souvenirs sont emprisonnés dans les cadenas qui reviennent dans son œuvre ?

Artiste touche à tout Holley est également un musicien accompli. A l'étage les visiteurs pourront voir un film dans lequel il interprète un hymne punk-blues de 18 minutes, Snuck Off the Slave Ship sur un montage d'images de sa vie. Sa musique emprunte de soul, blues et de métal, est essentielle pour comprendre son art. Ses revendications prennent la forme d’un mantra prônant l’harmonie entre les gens. Toute l’œuvre d’Holley parle avec espoir et humilité de préoccupations universelles, projetant un message inspirant sur la manière de bien vivre sa vie. Comme l'artiste l'affirme souvent, son œuvre fait un "pied de nez à l'univers mère".

Lonnie Holley : All Rendered Truth est présentée au Camden Art Centre, à Londres, du 5 juillet au 15 septembre. Entrée gratuite. Pour plus d'info cliquez ici.