Le Royaume orphelin
Requiem pour la Reine
Ce jeudi 8 septembre 2022 ; ce premier jour de rentrée scolaire qui avait débuté avec les clameurs familières et les joyeux souvenirs de vacances des écoliers de retour dans leurs classes. Une matinée ordinaire, un peu mélancolique, sans soleil, humide dès les premières heures. La pluie sur la ville et puis dans nos cœurs comme ces pleurs qui meurtrissaient Verlaine :
« Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
Ô le bruit de la pluie «
Paul Verlaine
Ce 8 septembre, Sa Majesté Elisabeth II laissait son pays orphelin. Ce jour-là, les Britanniques du Monde entier ainsi que tous les citoyens du Royaume, quelle que soit leur nationalité ou leurs origines recevaient, démunis, l’inconcevable nouvelle annoncée avec dignité et sobriété par la BBC « The Queen died peacefully at Balmoral this afternoon.»
Une nation entière à l’arrêt, soudain incapable d’envisager sa vie différemment.
Sa présence, même distante, même dans sa retenue et ses silences éloquents, nous inspirait la sérénité de savoir qu’elle était là et que même face aux épreuves, tout finalement allait bien. « Je suis avec vous » répétait-elle à ses sujets et à nous aussi, expatriés.
Elle a donné sa place à l’Angleterre dans le Monde et dans nos vies. Elle a soulevé tant d’émotions au sein de son peuple et de toutes les communautés installées au Royaume-Uni. Dans un respect sans faille du protocole, elle avait réussi à rassembler les cultures, à adoucir les historiques rancœurs entre frogs et rosbifs, entre tories et démocrates, entre les jeunes générations et leurs ainés. Toujours élégante et moderne aux côtés des plus grands, des plus humbles, de James Bond ou Paddington Bear, elle réussissait inlassablement à contrôler les implosions et démembrements successifs avec pour armes politiques l’humour et des sandwiches à la marmelade ! « Personne n’a le monopole de la sagesse » disait-elle … personne n’avait comme elle cet infatigable ferveur, ce pouvoir de rassembler. Elle avait établi avec nous un lien national, presque familial, comme une mère, une grand-mère, une confidente qui nous aide à identifier nos problèmes, nous écoute, nous encourage, nous console. À la fois proche et distante, elle nous racontait des pages d’histoire, comment le monde avait changé, comment elle-même s’était adaptée aux nouvelles technologies, à la numérisation de notre société. Je suis sure qu’elle savait utiliser WhatsApp et Zoom et qu’elle envoyait plein de SMS à ses copines ! Elle a ainsi su rester en contact avec les jeunes, créer des liens affectifs intergénérationnels indélébiles. Elle est devenue notre "Super mamie", celle qui s’occupe de ses enfants, ses petits-enfants, ses ministres, ses chiens. Une femme active avec un emploi du temps, des rendez-vous, des sorties. Pas de tout repos d’accompagner un pays entier dans ses sorties culturelles (dans les musées, au Chelsea Flower Show...) au sport (Jeux Olympiques, Highland Games …) sans compter ses activités personnelles (coiffeur, tailleur …). Tant d’années d’expérience et de dévotion !
Aujourd’hui, nous ressentons tous ici un grand vide, un vrai déni, l’espoir silencieux d’un miracle vers un impossible retour en arrière.
Avec Charles, notre nouveau Roi, nous allons nous reconstruire, mais rien ne sera plus « comme avant ».
Comme le renard de St Exupéry, nous allons pleurer ce départ :
- « c’est ta faute, dit le Petit Prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t’apprivoise…
- Bien sûr, dit le renard
- -Mais tu vas pleurer ! dit le Petit Prince.
- Bien sûr, dit le renard.
- Alors, tu n’y gagnes rien !
- J’y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé »
Après le départ de son ami, le renard trouve un nouveau sens à sa vie dans la couleur des champs de blé, car il y retrouve pour toujours la magnifique couleur blonde des boucles de cheveux du Petit Prince. Dans cet au-revoir, il nous montre que ce lien entre eux, entre nous est plus fort que le temps.
Francine Joyce