Londres, une ville qui s’embourgeoise ?

 

A la frontière entre rébellion et establishment, l’effervescence de la capitale britannique fait passer les capitales d’Europe pour des cousines « ringardes ».

Avec sa famille royale, ses pubs traditionnels, ses boutiques « vintage », ses créateurs « branchés », ses bonnes adresses gourmandes et design, Londres attire un nombre caricatural de stars en tous genres : artistes, musiciens, cinéastes, acteurs, sportifs… Ils aiment s’y faire remarquer ( sans en avoir l’air !) Ils sont séduits par ce mélange si particulier de tradition et de modernité, par la cohabitation improbable du style victorien des grands axes avec les antiques échoppes d’anguilles en gelée, les snacks indiens et les coiffeurs afros,  par l’énergie en perpétuel changement, le dynamisme architectural, l’audace culturelle… par le « London Vibe ».

Londres en effet, une ville palpitante et « cool » où quel que soit votre âge, la vie garde un joyeux goût d’adolescence permanente ! Mais dans ce bouillonnement, les quartiers typiques et populaires du temps des Beatles sont petit à petit devenus « mainstream », « gentrifiés » avec des prix au mètre carré qui s’envolent au même rythme que la verticalité de l’urbanisme ! Toujours plus haut et toujours plus à l’Est.

Il faut lever les yeux bien haut pour admirer les 310 mètres du Shard, le One new Change de Jean Nouvel derrière la cathédrale Saint-Paul, l'immeuble de la Lloyd's de Richard Rogers, le Gherkin (le « cornichon ») conçu par Norman Foster … La ligne des gratte-ciels fait rayonner le Business District (le quartier des affaires) sous des structures d’aciers et des façades de verres.  La mairie multiplie les projets d’attractivité globale à rayonnement international. La ville a accéléré un large mouvement de réhabilitation et d’embourgeoisement dans les quartiers de Canary Wharf, St Katherine’s Docks et South Bank. Bankside autrefois infréquentable et couvert de graffiti s’est transformé en centre culturel incontournable avec la nouvelle aile de la Tate par Herzog et de Meuron.

Mais aux pieds des tours, c’est la pollution noire, et la lumière qui a du mal à passer, des ambiances drapées de pluie et de fog comme dans les romans de Dickens,

des rues où ne flânent plus les « hypsters ». Les  hypsters ? Ces iconiques jeunes diplômés londoniens bon chic bon genre décalés qui aim(ai)ent se faire remarquer dans des tenues « vintage » dénichées à Camden ou à Brick Lane, pour se promener nonchalamment à vélo en écoutant des rythmes syncopés. Ils semblent aujourd’hui s’être fondus dans la masse.  Même le mouvement Punk semble rentré dans les rangs. Le logo des Sex Pistols s’affiche sur les cartes bancaires, et leur chanteur (terreur n°1 au Royaume Uni) s’est converti au marketing d’une marque de margarine !

Une capitale où cohabitent donc l’éclectisme de styles de vie à l’opposé les uns des autres. Une capitale où de nouveaux arrivants aisés investissent dans les périmètres autrefois populaires pour les transformer en zones résidentielles. La requalification de ces zones entraine un implacable accroissement du coût du logement et la migration des populations locales vers des voisinages plus abordables, plus loin. Les effets ambigus de ces processus de restructuration citadine déplacent ainsi inlassablement les limites géographiques et sociales de la ville, inscrivant sa puissance dans l’urbanisme londonien.

Mais Londres reste la ville dont on ne se lasse pas : "Tired of London, tired of Life" disent-les autochtones !

photo F. Joyce