“ The Cute Factor” : quand le règne du « mignon » détrône le sérieux de la vie à Londres.

de gros coeurs rouges partout ! Photo F. Joyce

Comment un chat à six pattes a-t-il pu donner ses lettres de noblesse à l’univers du « culcul », niais et figé des peluches japonaises en s’invitant en tête d’affiche de l’un des plus grands musées d’art de la capitale anglaise ? Dans les galeries colorées de Somerset House, il séduit les visiteurs pour les faire danser, chanter, rêver, dormir même !

Plus que jamais, le « mignon » exerce une fascination sans précédent sur notre société : #cute trône dans le top 10 des hashtags les plus utilisés dans le monde avec plus de 600 millions de publications l’année dernière.

Depuis ce jeudi 25 janvier 2024 en effet, Somerset House présente « Cute » une exposition dédiée à tout ce qui est « Ooooooohhh ! Trooooop Mi-gnon ! » et à l’opposé de l’esprit de performance de la capitale britannique toujours en ébullition.

Elle se penche donc sur tout ce qui est petit, doux, juvénile, inoffensif, rose ou tout au moins pastel, avec de grands yeux : bébés, pandas, lapins joufflus, et autres boules de poils (quelque soit leur nombre de pattes),  filtres Snapchat, dessins animés, mangas, gâteaux, mode, coussins …

Le côté vulnérable de ces créatures, est au cœur de l’affaire ! Il nous baigne dans un sentimentalisme protecteur. C’est un élément-clé de la survie des espèces : les mamans s’occupent de leurs enfants parce qu’elles les trouvent mignons ; en revanche, elles ignorent les petits poussins des espèces différentes qu’elles trouvent moches ! Ainsi tout ce qui nous rappelle les adorables caractéristiques de nos petits anges va irrésistiblement nous attendrir : un hamster qui mange de la vache qui rit, un phoque qui joue au ballon, un chaton qui trébuche …

Et contrairement aux idées reçues, cette impulsion touche autant les hommes que les femmes. C’est une réaction biologique interculturelle et millénaire.

Le marketing et la politique ont bien compris ce mécanisme pour s’en servir comme élément de propagande. Les dernières campagnes présidentielles ont vu tous les animaux domestiques des candidats investir posters et photos officielles ! En Angleterre Harry the Cat accueille sous les projecteurs des média tous les visiteurs de 10 Downing Street !

Hello Kitty dont c’est le 50ème anniversaire est certainement le symbole le plus frappant de l’utilisation commerciale de la « mignonitude ». Avec son beau noeud rouge, son air sage, son regard timide … ce doux félin tout blanc fait vendre tout et n’importe quoi : housses de couettes, agrafeuses, valises, ventilateurs, gel désinfectant …  Le marketing explique cela par un besoin d’expériences d’achats rassurantes pour compenser le stress de notre quotidien. Le sourire enjôleur et confiant d’une petite créature assouplirait notre armure intérieure rigide censée nous protéger.

Comment notre cerveau d’humain intelligent peut-il donc ainsi se laisser pirater son sens du discernement ?

En matière d’émotions humaines, il existe bien plus d’études sur la peur, la colère ou l’agressivité que sur l’attendrissement et l’empathie.  L’exposition « Cute » examine l’impact de la « mignonerie » sur notre société et notre psychisme. Il suffit d'une peluche pour démystifier une réunion des alcooliques anonymes, d’un autocollant koala pour donner à une paire de ciseaux ou à du papier toilette un aspect doux et tendre. Chaque salle de l'exposition vous enveloppera de calme, et de bonne humeur - même l'ascenceur.

Et pourtant …

Derrière le mignon ... il y a le moins mignon . Photo C Lilovski

L’exposition nous montre la face cachée de cette délicatesse apparente. Les soyeuses papattes de Minou Minou cachent des griffes ! Les ours, les tigres et autres magnifiques fauves à fourrure dissimulent une voracité sauvage.

« Cute » est donc un peu l’étymologie d’une émotion chargée en dopamine ! Somerset House lui consacre même un café où vous retrouverez des bataillons d’influenceuses plus charmantes (et mystérieuses elles aussi) les unes que les autres !