Publicité



Les voyages immobiles de Jason Wilsher-Mills

Les voyages immobiles de Jason Wilsher-Mills

C’est une histoire éprouvante que met en scène l’exposition de l'artiste Jason Wilsher-Mills devenu handicapé dans son enfance. Pourtant rien n’est ici lugubre ou pathétique, c’est même tout le contraire : une fête pour les yeux !

Anne-Sophie Segondat
Membres Public

"Jason and the Adventure of 254" se penche sur ce moment fatidique où l’artiste Jason Wilsher-Mills originaire de Wakefield (West Yorkshire), apprend à 11 ans, qu'il souffre d'une maladie auto-immune, déclenchée par la varicelle. Il restera paralysé jusqu’au cou pendant 5 ans. Ces années d'hospitalisation, puis de convalescence immobilisé ont éveillé en lui une créativité foisonnante. Le cinéma, la télévision, les dessins animés et les bandes dessinées ont été un échappatoire qui l’ont conduit vers l’art.

Le titre de l'exposition fait référence à la date du 1er août 1980, 2.54pm qui marque un tournant dans la vie de l’artiste lorsqu’il voit, depuis son lit d'hôpital, ses parents apprendre le diagnostic de sa mort prochaine. S’il se remémore ce moment avec autant d'acuité c’est parce qu’il coïncide avec la victoire aux Jeux olympiques de Moscou de la légende de l'athlétisme britannique Sebastian Coe aux 1 500 m, victoire retransmise au même moment sur le téléviseur de l'hôpital. Jason est alors plus concerné par l’exploit sportif que par l’annonce du diagnostic. Fait remarquable, Coe portait le numéro 254 sur son maillot. Il est 2.54 pm.

Aménagée comme un service hospitalier, l'exposition commandée par et pour la Wellcome Gallery explore la manifestation physique de ce souvenir. À l’entrée, deux grandes bottes orthopédiques se dressent comme des totems. Il ne s’agit pas pourtant d'appareils de rééducation inconfortables mais de motifs psychédéliques, ultra-colorés - Wilsher-Mills se réapproprie son traumatisme et le réinvestit d'une énergie positive en le transformant en une expression de son identité.

Au centre de la galerie une sculpture monumentale de l'artiste enfant, sur un lit d'hôpital, les pieds massivement enflés captive immédiatement le regard alors que des soldats de plomb verts convergent vers le lit en brandissant des virus  - une métaphore que les médecins utilisaient pour lui expliquer que ses globules blancs attaquaient son propre corps au lieu de le défendre. Face à ce lit gigantesque une sculpture de Sebastian Coe dont la tête a été remplacée par un poste de télévision pointe du doigt le symbolique Jason alité qui, à son tour, lui renvoie la balle. L'humour face à la maladie est un fil conducteur constant.

Parfaitement adaptées aux familles les oeuvres sont toutes interactives, ludiques, accessibles, le langage est simple et imagé. Tout autour de la galerie, le visiteur découvre une série de neuf dioramas dans lesquels des scènes miniatures en trois dimensions, font référence à des épisodes significatifs de l'enfance de l'artiste. Celles-ci peuvent être éclairées en pressant un bouton. Wilsher-Mills s'est inspiré des arcades à pennies de la station balnéaire à Withernsea du Yorkshire où il se rendait lui et sa famille ouvrière pour leurs vacances annuelles. L'une d'entre elles représente sa mère sous les traits d'une sirène dans une mer remplie de méduses luminescentes, évoquant un souvenir de baignade nocturne dans la mer du Nord.

Un pan de mur entier est recouvert d'un papier peint de 30 mètres de long qui représente des daleks et des vaisseaux spatiaux de bandes dessinées, Wilsher-Mills réimaginant son corps statique sous forme de véhicules ou d'êtres futuristes. Chaque centimètre carré de l'espace est couvert d'anecdotes pop. L'ensemble est mis en scène sous forme de frise chronologique des principaux événements dont il a été témoin dans le monde et des bulletins de santé factuels de l'évolution de sa maladie.

 Au fur et à mesure qu’on suit les souvenirs de l’artiste on comprend en filigrane que si cette terrible maladie a infléchi le cours de sa vie à jamais elle lui a aussi ouvert les portes d'un autre destin. Fils d'un mineur de charbon, benjamin d’une famille de huit enfants ayant grandi dans les cités de Wakefield, Jason Wilsher-Mills aurait pu lui aussi descendre dans la mine. Il a été le premier de sa famille à aller à l'université et a étudié la peinture à la Cardiff School of Art and Design. Et s'il n’est pas mort comme l’avaient pourtant prédit les médecins en 1980, il n'en est toutefois pas sorti indemne. Il se déplace toujours en fauteuil roulant. Dessiner est difficile car ses tendons ont été endommagés et Wilsher-Mills utilise un iPad pour concevoir ses personnages. De ce long cheminement pour dompter la douleur et le handicap le visiteur ne verra rien que des souvenirs heureux, un kaléidoscope de couleurs mélangé avec une touche de réalisme magique.

L'exposition est ouverte jusqu'au 12 janvier 2025 et l'entrée est gratuite. Pour plus d'information, cliquez ici.

En parallèle de l'exposition, Jason Wilsher-Mills investira l'atrium de la Wellcome Collection à partir du 20 mai jusqu’au au 8 septembre 2024 avec des œuvres de la série "Jason et ses Argonautes". Des conversations avec Jason Wilsher-Mills sont programmées les 21 et 22 mai de 18.30 à 20H.

Commentaires

- Règles de la communauté -

Publicité - Pour consulter le média sans publicité, inscrivez-vous





Publicité