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“Richard III” : quand la masculinité est un handicap…
"Richard III" au Globe Theatre - summer 2024

“Richard III” : quand la masculinité est un handicap…

La production audacieuse du “Richard III” de Shakespeare au Globe Theatre de Londres

Francine Joyce
Membres Public

Le spectacle s’ouvre sur une cour austère et sur la promesse d’une intrigue où chaque minute apportera son lot de meurtres !

Richard, encore prétendant au trône  d’Angleterre apparait immédiatement comme un sociopathe vaniteux, lubrique et ronchonnant ! Il exprime dans un premier monologue de sournoises ambitions tellement excessives qu’elles en deviennent joyeusement meurtrières.

Bien plus qu’une version modernisée et qu’une adaptation scénique, cette représentation est un concept réinventé de l’œuvre de Shakespeare.

Michelle Terry

Avec une distribution principalement féminine (même pour le rôle-titre) et une mise en scène centrée sur les machinations des uns et des autres, l’intrigue est souvent confuse même pour ceux qui connaissent bien le texte ! L’aide du diagramme dans le programme permet à peine de reconnaitre les personnages, leurs noms, leurs titres, la complexité de leurs relations et leurs degrés de cousinage.

La dynastie de Richard III - F. Joyce

Et puis sur le champ de bataille où les maisons rivales s’affrontent… pas un destrier en vue ! Le fameux “ Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! ” est passé à la trappe au profit d’un débat polémique sur la dynamique des genres et la toxicité du “masculin”.

Dans le role principal, la formidable Michelle Terry exhibe un torse factice avec les abdominaux et les pectoraux d’un Schwarzeneger Elisabethain en silicone. Au-dessus d’un caleçon avec le logo fluorescent Calvin Klein visible pour tous, elle (enfin “il”) porte un protège-sexe d’aspect “triomphant” couvert de diamants. Cette masculinité humoristiquement violente, gonflée et prête au combat suscite des rires. Elle fait de Richard le seul personnage comique de la pièce -le rendant presque attachant aux yeux du public. Et pourtant… il est un odieux chacal ! Tyrannique ! Misogyne ! Sans cœur ! Il assassine à tour de bras , il décapite, il empoisonne, il engage des hommes de mains pour noyer le Duc de Clarence dans un baril de pommes, pour étouffer ses neveux dans un sac de couchage…. Il épouse Lady Anne (Katie Erich), puis sa fille !

La mise en scène et les costumes délibérément anachroniques sont censés donner un sentiment d'intemporalité ; ils rendent plutôt la production esthétiquement bien peu cohérente. Au début du deuxième acte, la troupe entre en scène avec des casquettes de baseball rouges, en référence directe aux bonnets "Make America Great Again" de Donald Trump. Buckingham (interprété par Helen Schlesinger) parade aussi avec la blonde coiffure du leader républicain américain et porte un costume moderne. Bizarrement aussi, les gardes du corps du Roi sont habillés en cuir S&M !

Ajoutant occasionnellement des répliques au texte originel,  (« J'aime votre chemisier », s’exclame Richard à Madame Le Maire), la performance vire parfois à la fanfaronade et à la bouffonnerie. L’ambiance est presque légère alors que les actes sont sanguinaires.

 Enfin et surtout Michelle Terry a choisi de ne PAS jouer Richard avec le handicap physique décrit dans le texte original. Si Shakespeare présente le roi comme « difforme et inachevé » l’actrice n’a pas adopté une bosse, (comme certains l’ont fait par le passé) pour évoquer la scoliose sévère confirmée par les archéologues lors de la découverte de son squelette à Leicester en 2012. Pour mettre l’accent sur le mal intérieur et invisible de son personage, plutôt que sur une simple déformation physique, elle a aussi choisi de supprimer la majorité des références au corps du monarque meurtrier. Tout au long du spectacle, elle encourage le public à rechercher les signes d'une personnalité dominatrice, abusive et corrompue. Elle caricature la masculinité pour mettre en lumière le contraste entre les jeux de pouvoir abusif des hommes et la misérable exploitation subies par les femmes autour d'eux. Elles sont réduites à compter sur le pouvoir des malédictions pour contrer la violence qui leur est faite. Une partie de cet examen de la masculinité est déjà présente dans le texte de Shakespeare. Mais sa toxicité apparait dans ce spectacle comme le message principal et un peu tapageur de la production.

Au Shakespeare’s Globe, à Londres, jusqu'au 3 août. Franchement déroutant mais inoubliable !

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