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Zanele Muholi à la Tate Modern

Zanele Muholi à la Tate Modern

La Tate Moderne présente une rétrospective consacrée à l'un.e des artistes les plus en vues de la scène contemporaine internationale : Zanele Muholi, photographe sud-africain·e dont le travail documente la vie de la communauté noire LGBTQIA+. À découvrir jusqu’au 26 janvier.

Anne-Sophie Segondat
Membres Public

« Personne ne peut raconter l'histoire mieux que nous-mêmes" : c’est avec cette citation de l’artiste Zanele Muholi que s’ouvre la rétrospective qui lui est consacré.e à la Tate Moderne. Cette phrase résume parfaitement le moteur de cet.te photographe non binaire qui se définit comme un.e ’"Activiste visuel.le". Pour Muholi la photographie est un outil de lutte contre l’invisibilisation et les discriminations envers la communauté LGBTQIA+ noire sud-africaine. Avec 300 photographies, plus des sculptures, vidéos et installations, cette exposition (initialement prévue en 2020 mais interrompue en raison vague de coronavirus) balaye toute l’œuvre d’un.e des artistes sud-africain.es les plus influentes sur la scène internationale.

Zanele Muholi est né.e en 1972 dans un township à Durban, en Afrique du Sud, durant l'apartheid, une période de ségrégation raciale rigide et violente. Au cours des années 1990, le pays connait des bouleversements sociaux et politiques majeurs : la démocratie s’établit en 1994 avec l’abolition de l’apartheid, suivie par une nouvelle Constitution en 1996, la première au monde à interdire toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Malgré ces avancées politiques majeures, la communauté LGBTQIA+ demeure aujourd’hui encore la cible de violences et de préjugés. Les agressions, les viols dits « correctifs » font toujours partie des personnes queer sud-africaines. Zanele Muholi va se servir de son appareil photo comme d’une arme politique pour lever le voile sur cette communauté discriminée et invisibilisée. C’est vers les survivant.es de ces crimes de haine que la.e photographe tourne d’abord son objectif, leur consacrant sa première série Only Half the Picture (2002–2006). Cette série révèle la peau, le détail des corps et des cicatrices, comme un témoignage visuel des violences passées et de celles réprimées. Sans jamais montrer les visages ni révéler l’identité de ses « participant.es » (c’est ainsi que Muholi nomme les personnes qu’iel photographie), l’artiste capture avec pudeur des moments d’intimité et de tendresse qui n’effacent pas la douleur et le traumatisme, mais les rendent plus palpables encore. Ces photographies n’enferment pas les participant.es dans leur statut de victimes mais rappellent avec une profonde humanité ce que c'est que d'avoir un corps, de le rendre visible, de se battre avec lui et d'en prendre soin.

Mais capter la réalité est seulement une facette de l’activisme visuel de Muholi, qui a été formé.e par un maitre de la photographie : le sud-africain David Goldblatt fondateur du Market Photo Workshop à Johannesburg. A ses cotés Muholi comprend l’importance de créer une représentation visuelle pour des individus à la marge de la société. Iel développe alors une importante archive visuelle ouverte, qui prend pour sujet les femmes noires queer. Emblématique de sa démarche, la très belle série Faces and Phases qui occupe une salle entière de l’exposition. Entamée en 2006 et toujours en cours, cette série devenue emblématique est composée d’un corpus de plus de 500 portraits de personnes queer toutes photographiées dans la tradition du portrait en noir et blanc en lumière naturelle, sans artifice. Chaque participant.e vu.es en buste ou de trois-quarts regarde directement l'appareil photo, mettant le spectateur au défi de soutenir son regard. Chacune apparaît deux fois, des années s'écoulant entre les deux images. Des espaces sont laissés vides pour les personnes décédées. De ces portraits émanent une force et une dignité saisissantes. Exposée dans les plus grandes institutions artistiques du monde, cette œuvre est devenue une archive vivante de la communauté queer en Afrique du Sud.

On retrouve cette même attitude fière chez les participant·es de la série Brave Beauties (2014-en cours) qui met en scène les participants au concours de beauté Queer. Inspiréé par les images des magazines de mode, cette série donne à voir des portraits de femmes transgenres dont la pose fière est une revanche à la fois sur les normes esthétiques et sur l’histoire du pays - ces concours ayant longtemps exclu les personnes noires.

C’est avec sa série d’autoportraits intitulée Somnyama Ngonyama (« Salut à toi lionne noire », en zoulou, dans sa langue natale), initiée en 2012, que Zanele Muholi montre toute l’étendue de son talent pour questionner les codes de l’identité et les représentations. Grâce à des accessoires des plus inattendus – éponges, pinces à linge, tuyaux d'aspirateur, gants chirurgicaux… - l’artiste se transforme en de multiples icônes puissantes parfois éternelles et pharaoniques, à l'image de divinité ou de reine antique, parfois rétro-futuristes, mais parfois aussi clownesques. Ces portraits, réalisés aux quatre coins du monde, renvoient le spectateur à l’histoire de l’art et à ses stéréotypes. Sur de nombreux potraits, l’artiste maquille ses lèvres et ses yeux de blanc, avant de retoucher les contrastes de ses photographies pour obscurcir sa peau en partie pour interroger les préjugés du "colorisme", qui valorise les pigments plus clairs... Plusieurs autoportraits font une allusion directe ou allégorique à l’histoire de l'Afrique du Sud : lorsque l'artiste apparaît avec un casque de mineur (en hommage aux 34 mineurs en grève tués par la police sud-africaine dans la mine de Marikana en 2012) ou bien encore dans cette photographie faussement ethnographique de l'époque victorienne où la tête de Zanele Muholi est hérissée de ce qui pourrait être des os mais qui sont en réalité des stylos. Cette photographie fait référence à la pratique déshumanisante du "test du crayon" utilisée par le gouvernement sud-africain durant l'apartheid pour la classification raciale: si le crayon inséré dans les cheveux tombait, la personne était considérée comme blanche. Complexes et envoûtants, les 80 portraits exposés à la Tate font penser aux autoportraits de Rembrandt mais aussi aux créations fictionnelles de Cindy Sherman.

 La dernière salle, baptisée "Collectivité", rappelle que les archives visuelles crées par Zanele Muholi sont aussi et avant tout le fruit d’un travail collectif, et ce par le biais d’images de manifestations, de marches de protestation et de fierté ainsi que d'événements qui ont marqué l’histoire de la communauté queer sud-africaine. Ces œuvres militantes encouragent le public à s'interroger sur les idées reçues et créent un nouveau lexique d’images positives pour des communautés mal et sous-représentées en vue de promouvoir le respect mutuel. Elles sont à découvrir jusqu'au 25 janvier à la Tate Modern.

L'exposition se tiendra à Tate Modern jusqu'au 26 janvier 2025. Pour plus d'information cliquer ici.

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