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La vie des femmes de l’après- guerre à la Burgh House
Dorothy Bohm © A-S Segondat

La vie des femmes de l’après- guerre à la Burgh House

La vie et l’émancipation des femmes de l’après-guerre sont au cœur de deux expositions passionnantes la Burgh House à Hampstead.

Anne-Sophie Segondat
Membres Public

Si la Burgh House à Hampstead mérite en elle-même une visite pour son architecture (la maison a été construite sous le règne de la Reine Anne en 1704), les deux expositions qu’elle accueille dans ses espaces artistiques valent elles aussi grandement le détour. Marie-Louise von Motesiczky : (in)Visible Women et About Women : photographies de Dorothy Bohm sont toutes deux consacrées à des femmes artistes émigrées ayant fui le régime nazi et trouvé refuge à Hampstead durant les années 30. Respectivement peintre expressionniste et photographe de rue, Marie-Louise von Motesiczky et Dorothy Bohm, ont cherché dans leurs pratiques à représenter la vie des femmes tout au long d'un siècle marqué par la guerre. Les deux artistes mettent en lumière, chacune à sa façon, les expériences quotidiennes de femmes, dans la sphère publique et privée, depuis les bouleversements sociaux de l'entre-deux-guerres jusqu'aux changements transformateurs de l'après-guerre. Tandis que les portraits de Motesiczky offrent une nouvelle perspective sur la féminité et l'identité, l'objectif de Dorothy Bohm capture l'émancipation des femmes à mesure qu'elles traversent l'histoire. Les thèmes de la résilience, de l'identité et de la créativité traversent tout leur travail et permettent aux visiteurs d’explorer l’héritage artistique de deux artistes singulières et pionnières dont les parcours personnels reflètent plus largement les expériences des femmes au 20e siècle.

Marie Louise von Motesiczky, Studio with Nude Model © A-S Segondat

(in)Visible Women : Marie-Louise von Motesiczky

Marie-Louise Von Motesiczky est principalement connue pour ses portraits intimes. Née en en Autriche en 1906 dans une famille aristocratique juive, elle quitte Vienne à dix-huit ans pour étudier à l'Académie de peinture de Montparnasse à Paris, puis poursuit sa formation à l'École des beaux-arts de Städel à Francfort sous la tutelle de l'expressionniste allemand Max Beckmann que deviendra un ami et un mentor. La montée du nazisme la contraint à fuir Vienne avec sa mère en 1938 pour la Hollande avant s'établir en Angleterre l'année suivante. Elle y restera toute sa vie. Là, elle rejoint une communauté d'artistes et d'intellectuels exilés dont l'écrivain Elias Canetti (avec qui elle entretiendra une liaison) et Oskar Kokoschka, son mentor artistique en Angleterre.

Femme indépendante, Marie-Louise Von Motesiczky ne s’est jamais mariée. Sa richesse relative lui a permis de peindre pour son plaisir créatif plutôt que pour vendre ses œuvres. Au cours de ses 60 ans de carrière (elle est morte en 1996 à 90 ans), elle a réalisé plus de trois cents peintures et plusieurs centaines de dessins, essentiellement des portraits, autoportraits et des natures mortes. Son sujet de prédilection a toujours été les femmes. Toute son œuvre témoigne d'une présence constante d’amies, d’amantes, de femmes actives représentées dans la sphère publique et privée. Ses peintures explorent le quotidien de ces femmes menant une vie libérée, autonome et créative, ce qui était largement interdit avant le 20e siècle et rarement représenté dans l’histoire de l’art. Les hommes sont largement absents dans ces scènes, ses œuvres mettant davantage l'accent sur l'intimité et les amitiés féminines dans un monde en mutation rapide.

Marie Louise von Motesiczky, Lorette in the Studio © A-S Segondat

Profondément consciente de la manière dont la figure féminine était traditionnellement disposée (dans l'art et dans la vie) pour attirer le regard masculin, Motesiczky pose un autre regard sur ses modèles. Plutôt que de représenter la beauté de ses modèles, elle cherche davantage à capter leur force et leur vulnérabilité à différents stades de leur vie.

Ses autoportraits sont caractérisés par un mélange d'élégance timide, de fierté de la jeunesse à la vieillesse. Ancré dans la réalité son art est filtré par son expérience personnelle : Motesiczky est à la fois le sujet et l’objet de ses œuvres. Uniques dans le genre ses autoportraits incluent à des miroirs de nombreuses reprises. Ce sont certes un outil pratique pour une artiste réalisant son autoportrait, mais ils signalent aussi des vérités cachées ou de la vanité. Le miroir est également un outil de la psychanalyse initiée par Freud à la fin du 19eme qui encourage les personnes qui s’assoient sur le divan à se confronter à elles-mêmes et à leurs pensées intérieures. Les portraits au miroir Motesiczky suggèrent souvent une introspection de l’artiste.

Sheet of Stamps Autoportrait Marie-Louise Motesiczky © A-S Segondat

Plusieurs peintures présentées dans l’exposition représentent des scènes plus inquiétantes ou oniriques, défiant toute interprétation directe. Certaines, comme Nudes at Hampstead Pond ou Hampstead garden, semblent à première vue réalistes, mais contiennent des suggestions de fantaisie. D'autres, comme The magic Fish et Family portrait in the garden, sont plus réalistes. Si toutes ces œuvres sont empreintes d'esprit et d'espièglerie, elles recèlent également une certaine noirceur.

Hampstead Garden Marie-Louise Motesiczky © A-S Segondat

Après avoir obtenu la reconnaissance tardivement, ses œuvres sont désormais exposées dans d'importantes collections publiques à travers le monde, dépassant ainsi son ambition personnelle : « si vous pouviez peindre une seule bonne œuvre au cours de votre vie, votre vie vaudrait la peine d'être vécue ».

Dorothy Bohm © A-S Segondat

About Women: Photographs by Dorothy Bohm

La vocation de Dorothy Bohm – alors appelée Dorothea Israelit – est née à ses 14 ans, en juin 1939, lorsque son père lui a accroché autour du cou un appareil photo Leica alors qu'elle montait dans un train pour pour fuir la Lituanie occupée par le régime nazis. Le voyage l'a conduite en Angleterre en tant que réfugiée où elle a d’abord été hébergée par une famille à Hassocks, au cœur de la campagne du Sussex. Il lui faudra attendre 20 ans pour revoir ses parents envoyés par les forces russes dans un camps de détention en Sibérie. Son Leica est devenu pour Bohm l’antidote au sentiment d'impermanence causé par cette séparation : «La photographie répond à mon besoin profond d'empêcher les choses de disparaître», a-t-elle écrit, « (...) Elle rend la fugacité moins douloureuse». Au cours de sa longue vie (Bohm est décédée l'année dernière à l'âge de 98 ans) ce besoin ne l'a jamais quittée.

Sa carrière de photographe a commencé lorsqu'elle a ouvert un studio de portrait à Manchester en 1946, mais elle a ensuite beaucoup voyagé avec son appareil photo à travers l'Europe et au-delà, avant de s'établir à Londres à la fin des années 1950. Installée à Hampstead, elle se lance dans l'exploration de la vie des femmes les dépeignant avec chaleur, esprit et puissance. Elle a l’œil pour capter l'insolite et l'absurde. Consciente que les apparences du monde ne racontent pas toute l'histoire, elle veut que ses photographies "demandent pourquoi" et ne soient pas trop facilement déchiffrables à l’image de nos propres vies.

Dorothy Bohm © A-S Segondat
Dorothy Bohm © A-S Segondat

Dorothy Bohm se déplaçait rarement dans son propre quartier sans son appareil photo. Son objectif capture, sept décennies durant, l'esprit et la force, les vies changeantes et les styles des femmes de différents âges, offrant une perspective nuancée sur l'identité féminine. Ses photographies sont à la fois chaleureuses, intimes, candides et parfois teintées d'ironie. À travers son objectif, Bohm offre des aperçus intimes et sincères des multiples facettes de l'expérience féminine. Commentant son propre travail, Bohm a déclaré : « Mon idée était de dépeindre les femmes de manière à ce que les spectateurs puissent voir ce que je voyais, à savoir que les femmes étaient en train de changer ». Bohm est en effet témoin d’une époque où la vie et la place des femmes dans la société ont été radicalement boulversé grâce notamment à  l’obtention du droit de vote, l’entrée sur le marché du travail après les deux guerres mondiales, ou le développement de la pilule contraceptive…

Dorothy Bohm © A-S Segondat

Cette exposition, présentée en collaboration avec la fille de Bohm, l'historienne de l'art Monica Bohm-Duchen, est la première à se concentrer exclusivement sur les profondes contributions de Bohm à la photographie et à mettre l'accent sur ses photographies de femmes, en prolongement du livre About Women (publié vers 2015).

La Burgh House est située à New End Square, Hampstead
London NW3 1LT.

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