Publicité



La grande illusion du self-control

La grande illusion du self-control

De Will Smith à La Zarra, de la gifle au doigt d’honneur, quand notre volonté n’est pas suffisante pour gérer nos émotions

Francine Joyce
Membres Public

En cette semaine du « Music Week Awards » le monde de la musique célèbre à Londres le meilleur des acteurs d’une industrie passionnée ; un événement glamour et chaleureux. Si ces remises de prix « spectacles » rassemblent et plébiscitent, elles déclenchent aussi parfois des débordements bien malvenus… comme le tout récent et très polémique majeur levé de La Zara à l’Eurovision. Pourtant ce n’était pas le premier, « Evidemment » !

Les grandes scènes et les tapis rouges du monde entier sont en effet des plateformes favorables aux dérapages les plus spectaculaires, ceux qui restent gravés pour toujours dans les mémoires. Ils ne sont pourtant que des exemples anecdotiques de comportements certes inacceptables mais profondément humains. Ils relèvent tous d’une perte de contrôle qui nous a tous concernés un jour ou l’autre voire quotidiennement. Ainsi La gifle assénée par Will Smith à Chris Rock lors de la 94è cérémonie des Oscars en 2022 continue de méduser.

Le doigt d’honneur de Quentin Tarantino en 1994 au Palais des Festivals à l’occasion de la sortie du film « Pulp Fiction » aussi, tout comme la bagarre tout juste évitée de Jean Claude Van Damme et Dolph Lungren sur ces mêmes marches ou encore les légendaires colères de Madonna, d’Alec Baldwin, ou de Russel Crowe contre les journalistes. En ce festival de Cannes 2023, l’agacement marqué de Virginie Effira face aux questions insistantes de Léa Salamé est déjà abondamment relayé sur les réseaux sociaux. Et n’oublions pas la contrariété du Roi Charles III devant un stylo royal qui fuit. Tous ces moments forts semblent à jamais gravés dans l’Histoire. Ils ne sont pourtant que des exemples publics de difficultés à contrôler ses émotions.

Loin d’alléger notre stress existentiel, afficher une sérénité vaillante en toutes circonstances vampirise notre énergie, nous épuise nerveusement et physiquement. Paradoxalement, cette quête de maîtrise totale nous leste d’un poids supplémentaire. Contrôler nos émotions, notre temps, nos relations, notre corps nous apparait comme une sécurité dans un monde instable. Mais n’est-il pas illusoire voire arrogant de vouloir contrôler le monde et notre propre monde ? Cette course à l’hypercontrôle ne laisse plus de place à l’imprévu, à la spontanéité, à de nouveaux possibles, à la possibilité que nous sommes peut-être tellement plus que nous le pensions.

Faire passer la raison avant la passion ne ressemble en rien à un épanouissement. On planifie, on anticipe, on surveille pour éviter les mauvaises surprises, pour éviter d’être envahi(e)s par nos émotions, de perdre pieds momentanément. Cette hypervigilance capte notre énergie vitale, nous baigne dans la culpabilisation, et depuis Adam et Eve nous donne une sensation d’échec moral ( inacceptable tentation qui surpasse la volonté !)

Apple white background
Photo by Amit Lahav / Unsplash

Ce désir de maîtrise, de self-control permanent révèle pourtant plus d’une faiblesse que d’une force. On se donne l’impression d’agir alors qu’en fait on subit. Quel fardeau de devoir afficher sa joie ou sa colère avec parcimonie et surtout quelle limite à la liberté ! Faut-il chercher à contrôler totalement nos pulsions ou chercher à épanouir notre sensibilité et  notre liberté ?

Le contrôle total n’est pas le « Sésame » pour atteindre nos objectifs de bonne santé (sans cellulite), de richesse (matérielle), de carrière professionnelle (fulgurante), de vie amoureuse épanouie. Notre culture basée sur la performance et le matérialisme ne nous laisse plus la liberté de choisir la vie dont nous avons envie. Il faut serrer les dents, sourire et avancer et surtout laisser de côté nos désirs, nos fantasmes. Alors bien sûr, un jour, on craque. Et quand le mot fait défaut pour réagir, il reste le geste, le geste de trop. Une pulsion agressive qui au nom d’une intimité humiliée, d’une « atteinte à notre intégrité » , d’une grande déception (vécue comme une humiliation probablement pour La Zarra à l’annonce des résultats de l’Eurovision) pulvérise votre image en quelques secondes.

Le geste est souvent plus théâtral que dangereux mais sa portée émotionnelle est forte car elle s’attaque à l’égo de celui à qui il est adressé.

Sur les visages de votre entourage vous lisez le choc et la réprobation. La brutalité imprévue qui surgit au cours d’une cérémonie ou d’une simple réunion familiale organisée pour célébrer la culture, la musique, le cinéma, la famille, le partage, l’humour témoigne d’une société de plus en plus « à fleur de peau », et plus que jamais portée sur ses affects.

Ces gestes déplacés que nous avons tous vus sur les tapis rouges et dans notre quotidien, sont le signe d’une insécurité profonde. Ainsi la gifle reçue par le Président Macron était l’expression d’une grande détresse. Geste inacceptable mais révélateur d’une société en grande souffrance, en mal d’expression, une société où nous avons perdu le contact avec nous-même.

La peur n’est certainement pas le meilleur des moteurs. Hausser le ton, taper du poing sur la table sont bien plus qu’un manque d’éducation ; ils révèlent une grande fragilité intérieure, un épanouissement frustré.

Pour façonner notre destin au plus près de nos désirs, accueillons l’instant présent et acceptons ce qui ne peut être changé, essayons de « lâcher prise » pour dire oui à la vie ! C’est le meilleur antidote au contrôle de soi et des autres.

Commentaires

- Règles de la communauté -

Publicité - Pour consulter le média sans publicité, inscrivez-vous





Publicité