Terrie, artiste tatoueuse à Londres : ‘Le corps est une toile vivante’
Se décrivant comme spontanée et aventurière, Terrie aime voyager autour du monde avec son équipement et tatouer ceux qu’elle rencontre en chemin… Mais c’est à Londres qu’elle a décidé, il y a maintenant six ans, de poser ses valises et d’ouvrir son salon privé.
Londres, dit-elle, est la ville qui lui a permis de se découvrir, de s’accepter. Retour sur l’histoire d’une artiste tatoueuse pas comme les autres.
Terrie, peux-tu nous raconter tes débuts dans le monde du tatouage ?
Je faisais à l’époque une formation en décoration d’intérieur à Paris, de laquelle je me suis rapidement désintéressée, car je n’y trouvais pas ma place. À peu près à la même époque, je suis allée au Liban pour mes 20 ans et me suis faite tatouer par une cousine. C’est elle qui m’a rappelé que, depuis petite, j’aimais dessiner pour les autres. Elle m’a suggéré de me lancer dans le tatouage, et ceci a provoqué en moi un premier déclic.
De retour à Paris, j’ai commencé à faire des recherches pour trouver un tatoueur auprès duquel je pouvais me former – mais j’ai dû essuyer beaucoup de refus. L’univers du tatouage est un monde fermé, compliqué, dans lequel il y a beaucoup de concurrence et où peu de tatoueurs sont ouverts à l’idée d’avoir un apprenti. Après plusieurs mois de persévérance, j’ai finalement réussi à trouver un tatoueur qui a accepté de me former.
Quand as-tu décidé de quitter Paris pour Londres ?
Je viens d’une famille dans laquelle arrêter mes études pour devenir tatoueuse n’était pas vraiment une option. J’ai donc longtemps continué à jongler entre ma formation universitaire d’un côté, et celle d’artiste tatoueur de l’autre. Ayant une amie qui vivait déjà à Londres à cette époque, je me suis finalement décidée à sauter le pas et m’y suis installée en septembre 2013.
Sous la pression familiale, j’ai cependant fini par rentrer à Paris pour finir mes études, que j’ai achevées le 24 juin 2015. Par la suite, tout s’est enchaîné très rapidement : le 25, j’ai obtenu ma formation d’hygiène et donc la confirmation que je pouvais être artiste tatoueur ; le lendemain, je pliais bagage et partait me réinstaller à Londres, que je n’ai plus quittée depuis.
Quels furent tes premiers pas dans la capitale ?
Les débuts ont été difficiles. Je ne pouvais pas immédiatement exercer mon métier, car je devais d’abord me faire un nom. Mon premier instinct a été de contacter les salons de tatouage locaux, mais tout comme ce que j’avais vécu à Paris auparavant, j’ai dû faire face à de nombreux rejets – entre autres, car j’avais été formée à l’étranger.
Toutes ces expériences m’ont peu à peu convaincue que je devais tracer ma propre route et prendre les choses en main. C’est alors que j’ai entrepris d’aménager ma propre tattoo room chez moi. Cinq jours par semaine, mon salon se transformait en salon de tatouage où j’accueillais les gens en privé. Les réseaux sociaux et plus tard, ma page Instagram – m’ont alors beaucoup aidé à me faire connaître. Pendant trois ans, j’ai presque exclusivement tatoué des Français résidant à Londres.
« Le monde du tatouage est un monde compliqué, dans lequel il y a beaucoup de concurrence. »
C’est alors que les choses ont vraiment décollé pour toi ?
Oui ! Je me suis rapidement retrouvée bookée de 11h à 18h, cinq jours par semaine. Au fil du temps, le bouche-à-oreille a aussi joué son rôle. J’ai eu l’occasion de tatouer de nombreuses célébrités, telles que la blogueuse Caroline Receveur, l’épouse du footballeur Robert Pires, le footballeur David Ginola et sa femme, ainsi que plusieurs acteurs de Made in Chelsea. Ce succès m’a prouvé et confirmé que je n’avais pas ma place dans l’industrie du tatouage traditionnelle, que je trouvais trop fermée d’esprit, et que j’avais eu raison de vouloir me créer ma propre place.
Par la suite, j’ai été recrutée par le salon de beauté de luxe Urban Retreat à Knightsbridge, où je suis tatoueuse en résidence depuis septembre 2019. Le Covid-19 a cependant quelque peu modifié mes plans : j’ai profité de l’année passée pour voyager et tatouer des gens à travers le monde – en Australie, au Liban, au Congo ou encore à Los Angeles… Je suis donc devenue une sorte de tatoueur-voyageur !
Qu’est-ce qui différencie ton offre de celle d’un tatoueur classique ?
Pour moi, se faire tatouer est un travail d’équipe entre tatoueur et tatoué : le plaisir doit être mutuel, partagé. L’approche des salons traditionnels m’a rebutée par son manque d’humanité – le côté « tatouage à la chaîne ».
Je propose un service personnalisé où je discute avec le client, où j’apprends à le connaître, et où nous créons ensemble le dessin qui convient. Se faire tatouer – surtout quand c’est la première fois ! – est une expérience unique, inoubliable, dont vous vous souviendrez toute votre vie. Autant essayer d’en faire un bon souvenir !
J’estime que cet aspect relationnel privilégié a été la clé de mon succès. Ça, et le fait de n’avoir jamais rien lâché et de m’être battue pour atteindre mon but !
« Se faire tatouer est un travail d’équipe : le plaisir doit être mutuel, partagé. »
Qu’est-ce qui, dans ton esprit, a fait que le tatouage est devenu un tel phénomène de mode depuis quelques années ?
Je pense que nous avons réussi à mettre en valeur le côté artistique du tatouage au-delà des images typiques qui lui sont associées – les gangs, le côté junkie, etc… On a réussi à montrer que le tatouage est un art, et que le corps humain peut devenir une toile vivante pouvant raconter une histoire ou un passé. Dans mon esprit, être tatoué, c’est avoir une âme d’artiste.
Mais la bataille n’est pas terminée ! Je pense qu’il faudra encore quelque temps avant que le tatouage se débarrasse totalement de sa réputation « bad boy » …
Enfin, quelles sont les dernières tendances tatouage ?
Des dessins ou motifs particuliers étaient encore à la mode jusqu’à il y a deux trois ans, mais aujourd’hui, la tendance est plus aux tatouages basés sur le vécu ou sur une histoire personnelle. Certains clients viennent me voir avec des photos, ou avec des lettres dont ils veulent reproduire des passages sur leur peau, avec la même écriture. L’esprit self-love est aussi très présent.
L’époque des mandalas, dreamcatchers, plumes, roses et autres est révolue et laisse désormais place à des créations plus intimes. D’où l’importance du lien entre client et tatoueur.