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Dave Turner, premier rôle de "The Old Oak", explique la méthode Ken Loach
Dave Turner, ex-pompier et acteur chez Ken Loach, partage ses expériences de tournage du film 'The Old Oak' au festival corse du film britannique et irlandais. Il décrit un voyage cinématographique profond, mêlant les défis des ouvriers anglais et des réfugiés syriens
"Hormis la mort, la naissance et le mariage, ça a été l'expérience la plus incroyable de ma vie": Dave Turner, ancien pompier et syndicaliste qui tient le premier rôle dans le dernier film de Ken Loach, a levé le voile sur les méthodes du réalisateur britannique.
A l'occasion du festival corse du film britannique et irlandais, qui se tient jusqu'à samedi à Ajaccio et Corte, Dave Turner a expliqué son expérience sur trois films de Ken Loach et surtout "The Old Oak" qui mêle, dans une ode à la solidarité, les destins d'ouvriers déshérités du nord de l'Angleterre etceux de Syriens ayant fui le régime de Bachar al-Assad.
Question: Comment avez-vous rencontré Ken Loach ?
Réponse: "J'ai travaillé plus de 30 ans comme pompier et pendant 25 ans j'étais un syndicaliste actif à Newcastle, dans le nord-est de l'Angleterre. En 2014, Ken Loach et Rebecca O'Brien, sa productrice, sont venus dans la région avec l'intention de faire un film. Nous avons discuté 45 minutes dans un club à Newcastle".
Q: Comment avez-vous été choisi pour jouer dans trois de ses films ?
R: "J'ai été rappelé pour savoir si j'accepterais une nouvelle discussion et je me suis retrouvé à faire plusieurs auditions sans comprendre que c'était des auditions pour "Moi, Daniel Blake" (2016). J'ai eu un petit rôle. Deux ans plus tard, on m'a rappelé pour "Sorry, We missed you" (2019)".
Q: Comment choisit-il ses acteurs ?
R: "Quand Ken fait une audition, il ne vous donne pas de scénario, c'est une conversation, une improvisation et il essaye de vous découvrir, en tant que personne. J'ai fait 12 scènes avec lui. Que des situations sombres et profondes, toutes improvisées et filmées avec d'autres acteurs. Ensuite, Ken, Paul Laverty, son scénariste, Rebecca O'Brien, sa productrice, et Kathleen Crawford, sa directrice de casting, regardent ces vidéos et décident. Une semaine avant Noël, Ken m'a appelé et simplement dit: +nous avons voté, et à l'unanimité nous voulons t'offrir le rôle. Ils mettent autant de soin à choisir l'équipe technique que les acteurs, parce qu'ils ne tolèrent aucun égo, aucune hiérarchie sur le tournage, aucune jalousie".
Q: Comment s'est passé le tournage ?
R: "Le scénario est écrit mais les acteurs n'ont pas le droit de le lire. Chaque soir, on me donnait les deux ou trois pages pour le lendemain. Ken fait ça parce que nous sommes des acteurs non professionnels, nous ne savons pas livrer des émotions à la demande. Il créé une atmosphère où tout est très réel, du coup quand les gens montrent des émotions, elles sont authentiques. C'est une manière unique de filmer, personne d'autres que Ken Loach ne fait ça. C'est gratifiant mais, psychologiquement, très fatiguant et très émouvant.
Après six semaines de tournage, j'étais vanné. Il filme les séquences chronologiquement, sans répétition, et fait simplement beaucoup de prises. Au début, je n'ai pas pris de plaisir, je souffrais d'anxiété, du syndrome de l'imposteur, comme Ebla Mari et Claire Rodgerson (NDLR: ses deux principales partenaires). Mais c'est un film tellement important que nous voulions tous être bons et ne pas laisser tomber Ken".
Q: Comment décririez-vous cette expérience ?
R: "Hormis les morts, les naissances et les mariages, c'est l'expérience la plus incroyable de ma vie. Ca m'a changé en tant que personne. Tous les réfugiés syriens à l'écran ont vraiment quitté la Syrie sauf Ebla, qui vit sur le plateau du Golan, dans les territoires occupés par Israël à la frontière syrienne. Passer du temps avec eux met votre vie en perspective. Je suis beaucoup plus patient et compréhensif mais beaucoup moins tolérant avec l'ignorance, le racisme et le sectarisme".
Q: Parlez-nous de Ken Loach.
R: "Je suis convaincu que "The Old Oak" sera son dernier film. Il a 87 ans, sa vue n'est plus ce qu'elle était. Mais nous n'avons pas fini d'entendre parler de Ken Loach, il est plus en colère et déterminé qu'il y a neuf ans quand je l'ai rencontré, parce que le Royaume-Uni est de plus en plus à droite. Il va créer d'autres formes d'art mais plus de long-métrage, et je ne vois pas de réalisateur qui pourrait prendre sa suite".