Dysmorphophobie : Oh Miroir ! Mon beau miroir !
Aussi illusoires qu’inaccessibles, les standards de beauté diffusés au travers des filtres des réseaux sociaux conduisent, dès l’adolescence, un nombre croissant de patients chez les chirurgiens esthétiques, les diététiciennes ou les psychiatres. La perception négativement altérée qu’ils (ou elles) ont de leur corps impacte douloureusement leur confiance en eux. Cette mauvaise estime de soi se transforme en fardeau, puis devient une souffrance. Ils perdent le rapport amical, pacifié, et surtout sain qu’ils avaient jusqu’alors avec eux-mêmes. On parle alors de dysmorphophobie.
Il s’agit d’un trouble chronique, d’ordre obsessionnel qui modifie notre perception de la réalité (en particulier du corps), et entraine des complexes irrationnels : lèvres, seins, cuisses, nez sont trop gros ou trop petits, les silhouettes masculines trop « rondes », pas assez musclées… Cette anxiété peut conduire à un repli sur soi, à un isolement et à des pathologies dépressives. Ce trouble de l’image de plus en plus fréquent chez les jeunes ET les adultes peut vite entraver leur vie personnelle, leurs études, leur carrière professionnelle et leur santé (physique et mentale). L’OMS estime qu’il concerne 1,7% de la population en Europe – le double aux États-Unis. Il peut apparaître à tout âge mais ce sont les adolescent(e)s de 16-17 ans qui sont les plus touché(e)s.
Tous et toutes ont l’espoir qu’un jour, à force d’efforts sportifs (intensifs), de régimes (hyper restrictifs, et démesurément orthorexiques), de coups de bistouri esthétique à répétition (recommandés par des influenceuses sans foi ni loi), ils ou elles verront dans la glace une femme ou un homme heureux / heureuse, important(e), remarquable, digne d’intérêt aux yeux des autres.
À ce stade, ils sont dans le déni des conséquences potentiellement graves de leur conduite : stress, troubles de l’humeur, comportements disproportionnés, déficiences nutritionnelles, anorexie, boulimie, infections post-opératoires, réactions allergiques aux produits cosmétiques, troubles obsessionnels compulsifs (TOC) …
Cette image déformée qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes n’est donc pas sans risque, loin de là.
Les responsables de cette incessante et narcissique recherche de perfection ?
L’ère numérique qui nous projette comme principal protagoniste au centre des "réseaux sociaux spectacles". Si le grec Narcisse avait eu un portable, il nous aurait inondés de selfies exhibant sa perfection physique ! Et il aurait gagné la course aux « likes » ! Il aurait aussi un jour fini chez un psychiatre… avec tous ses followers !
Aujourd’hui, il suffit de deux petits clics pour appliquer un filtre sur une photo ou sur la caméra de notre téléphone. Or en 2023, nous voyons plus de visages à l’écran qu’en présentiel. À force de voir des images et des physiques améliorés numériquement, nous perdons la notion du normal, toute imperfection nous parait aberrante. Alors, on « Photoshop » ses selfies. Une pratique apparemment banale, mais loin d’être inoffensive et qui agit comme une drogue tyrannique.
Même si nous aimons l’image de notre visage retouché, nous nous sentons de plus en plus insatisfait(e)s et de plus en plus critiques. De plus, en propageant une fausse image de nous, nous ne pouvons que ressentir un sentiment de malhonnêteté envers les autres et envers nous-mêmes. À force de remodeler cette image virtuelle de nous-même, de notre visage, de nos hanches, nos jambes, nos fesses, nos muscles… s’installe petit à petit ce leitmotiv lancinant « tu pourrais être encore mieux que ce que tu es »répété par des armées d'influenceuses, de TikTokeuses, d'instagrameurs , snapchatteurs ...
Débute alors la spirale infernale des régimes amincissants, des interventions esthétiques de moins en moins satisfaisantes, de l’anxiété dépressive. C’est la porte ouverte à la phobie sociale, à l’isolement, à l’anorexie, aux troubles de l’humeur et toutes leurs comorbidités.
Il est certes dans la nature humaine de vouloir se comparer, pour s’évaluer, mieux se connaitre, se rassurer. Dans la dysmorphophobie, on passe de la comparaison à l’obsession.
Sur les réseaux, sur Instagram, sur TikTok, sur Snapchat, nous comparons « notre image au naturel », à des physiques retouchés par les technologies d’édition. Ceci conduit à un inévitable sentiment d’inadéquation, d’échec et d’angoisse. On passe de l’introspection aux effusions de larmes. Les premiers symptômes peuvent apparaitre insidieusement ou brutalement.
Malheureusement, les campagnes du type « tu es très bien comme tu es » organisées par les groupes de prévention de la dysmorphophobie apparaissent rarement avant la page 2465 de Google et dans une version québécoise uniquement !
Le cas de Sandra, 15 ans : « je maigris donc je suis ».
« Quand je regarde les stars de téléréalité à la télévision, je me sens très complexée. Elles sont à moitié nues, elles ont un corps parfait et elles ne font rien de leurs journées. C’est la belle vie. Elles sont heureuses. Tout le monde les admire. Les mecs, eux, ils sont tous beaux, grands et musclés. Alors pour perdre du poids et être comme elles, moi j’ai tout essayé, même les laxatifs. Il y a sur le Net, plein de vidéos de sports extrêmes, de nutrition restrictive, ou de challenges pour vous aider à atteindre votre objectif.
J’ai fini à l’hôpital à 39 kg pour 1.67m»
Au moindre doute, il faut demander de l’aide (à une psychologue, une diététicienne ou une psychomotricienne) avant que la situation ne dégénère. Elles vous aideront à mettre en place une thérapie de « médiation corporelle », pour travailler sur l’imbrication du corps avec les émotions et la pensée, pour ne plus croire (comme peuvent vous en convaincre les internautes) que « l’herbe est plus verte ailleurs ». Pour retrouver tout simplement votre joie de vivre, et votre self-estime. Prendre soin de soi et de son authenticité c’est aussi une belle manière de prendre soin des autres et de retrouver le sourire, l’insouciance et la liberté.
La conférence de la « Body Dysmorphophobic Disorder Foundation » prévue en Novembre prochain devrait réunir 900 professionnels de santé du monde entier. Saluons cette initiative qui devrait sensibiliser médecins et patients à cette pathologie de société et surtout mieux organiser sa prise en charge.
Vous pouvez contacter la BDDF via leur mail : support@bddfoundation.org
ou leur site web : https://bddfoundation.org/support/