"De Goya à l'impressionisme" : à la recherche de trésors perdus …

La Galerie Courtauld célèbre depuis le début du xxè siècle, l'art impressionniste et moderne - plus particulièrement les maîtres français. Jusqu'au 26 mai prochain, elle expose des œuvres qui n’étaient jamais sorties de leur musée suisse.

Aujourd’hui en rénovation, la célèbre collection helvétique Oskar Reinhart a en effet accepté de présenter une partie de ses trésors à sa “jumelle londonienne”: Somerset House. C’est une occasion unique de découvrir ces toiles dans notre capitale britannique. Magnifiques, certes, mais le contexte n’est peut-être pas le meilleur. L’aura de ces fabuleuses peintures n’est pas vraiment mise en valeur au milieu de la mer de chefs-d'œuvre de la collection permanente anglaise qui comprend entre autres, “Le bar des Folies-Bergère” d’Édouard Manet, “La loge du théâtre” de Pierre-Auguste Renoir, “L’autoportrait à l’oreille bandée” de Vincent Van Gogh, “La Trinité avec les saints” de Botticelli, "Les Coquelicots" de Claude Monet …).

C’est dommage car la nouvelle exposition réunit de grands noms et des réalisations souvent atypiques ou annonciatrices du talent avant-gardiste de leurs auteurs.

il y a 1 nature morte et 3 paysages de Cézanne ( Le Mont Ste Victoire tout blanc,) 1 Picasso, 1 magnifique Corot, un bouquet de fleurs et 3 portraits de Renoir , 1 Monet gris – blanc, 2 Manet (“Au café ainsi qu'un superbe portrait de Marguerite), le fameux Toulouse Lautrec Clown Cha-U-Kao, 2 Van Gogh (scènes d’hôpital à Arles), 1 paysage de canal de Sisley, 1 vague et 1 hamac de Courbet, 1 paysage de Gauguin. Au total une vingtaine de toiles réparties dans deux salles mal éclairées.

Elles apparaissent là comme quelques pièces isolées et hétérogènes d’un mouvement  artistique aux multiples facettes où les artistes privilégient l’expressivité à la netteté du dessin. Un courant qui se caractérise par des sujets réalistes ou de plein-air, souvent empruntés à la vie quotidienne moderne (comme déjeuner, lire le journal, fumer, jouer ou danser dans une foule). À l’opposé des sujets officiels - historiques, mythologiques ou religieux peints en atelier dans des tons relativement sombres -, les teintes impressionnistes sont claires, sans mises en scènes figées.

Ces deux dizaines d’œuvres aux mille nuances de vert, de blancs et de gris montrent bien l’intérêt des impressionnistes pour les effets de lumière et d’atmosphère, les couleurs pastel et les touches rapides semblables à des écailles lumineuses. Les personnages ne sont plus des dieux ou des aristocrates, ce sont des passants, des serveurs, des paysans, des actrices, des infirmières.

Quant au “rôle titre” de l'exposition - le courtisan espagnol, sourd, tourmenté, insoumis et tellement fascinant, Francisco Goya… Oui, il est là aussi. Dans toute sa différence. Il est le trésor d’un jeu de pistes…

Vous avez tous un jour testé votre sens affuté de l’observation en cherchant dans les livres-puzzle de vos enfants, Charlie (en anglais Wally) dans sa marinière à rayures rouges et blanches, son jean bleu et ses lunettes rondes d’intello…

Moi, à la Courtauld Gallery, je suis partie à la recherche du ténébreux Francisco Goya, de ses œuvres noires et grotesques, celles qui nous montrent un Saturne dévorant un de ses fils, ses monstres énigmatiques, ses personnages habités par la folie, tourmentés par la violence… Je ne m’attendais quand même pas à voir la légendaire Maja nue alias Pepita Tudó, (voluptueuse maîtresse de Manuel Godoy) qui pose entièrement dévêtue avec une indolence érotique et insolente... mais j’espérais bien voir plus qu’un seul tableau

Loupe à la main, je me suis penchée sur toutes les toiles de maîtres exposées dans le cadre de “Goya to Impressionism” pour repérer sa signature.

En fait j’aurais du aller au Prado de Madrid ! Aucune scène de guerre ou de sorcellerie…Une seule peinture signée Goya trône au milieu d’un mur sombre de la Courtauld Gallery. Elle représente trois steaks de saumon sur une nappe grise tachée de sang. Une nature morte certes saisissante et philosophique… mais bien loin des lourdes promesses du titre de l’exposition. Pourtant, ce tableau est exceptionnel et réveille toute l’exposition. Il semble questionner le pourquoi de la vie et de l’art. Le rose orangé des tranches de poisson n’est pas sans rappeler la chair humaine comme si le peintre voulait exposer sa propre mortalité sur une table (ou la nôtre). La signification sous-jacente et le réalisme de cette peinture sont poignants. Ils contrastent avec les doux paysages brumeux de Cézanne, Sisley et Monet sur le mur opposé.

Oui, “Goya to Impressionism” vaut le détour, même si l’émerveillement ne se porte pas sur les promesses annoncées.

Renoir "Victor Chocquet" ; Renoir "The Milliner" - photo F. Joyce

Goya to Impressionism

à Somerset House jusqu'au 26 mai 2025